Faire face au génocide, 75 ans après la convention de l’ONU

En tant que personnes juives, la plupart d’entre nous ont grandi en entendant des récits de l’holocauste, et personne ne devrait être mieux disposé que nous à reconnaître un génocide. Un très grand nombre de personnes juives reconnaissent en effet aujourd’hui ce qui pourrait difficilement être plus évident : un génocide est en cours à Gaza, et l’État d’Israël – dont l’histoire est pourtant intimement liée à l’holocauste – en est l’auteur. 

Il ne s’agit pas là d’une hyperbole. Ni d’une théorie du complot. Il n’est certainement pas antisémite de le dire. Cette affirmation repose en fait sur le constat neutre et rigoureux de plusieurs éminents spécialistes mondiaux en matière de génocide.

Raz Segal, un professeur agrégé du centre d’études sur l’holocauste et le génocide de l’Université Stockton, aux États-Unis, lui-même israélien, a souligné que la situation à Gaza est exceptionnelle par la manière frappante dont elle répond aux critères du génocide. Dans un article paru le 13 octobre dernier, M. Segal affirme que les actions d’Israël correspondent à au moins trois des cinq actes constitutifs du génocide selon la Convention de l’ONU pour la prévention et la répression du crime de génocide, soit : « 1) le meurtre de membres du groupe; 2) l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale du groupe; et 3) la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle. »

Le 15 octobre 2023, dans une déclaration commune signée par 800 universitaires et spécialistes du droit international, des études des conflits et des études sur le génocide, les signataires disent s’être sentis « contraints de tirer la sonnette d’alarme » concernant ce qu’ils considèrent comme une accentuation des inquiétudes précédemment documentées relatives à « la possibilité que les forces israéliennes commettent un crime de génocide contre la population palestinienne de la bande de Gaza. »

L’intention de détruire un groupe donné – dans ce cas-ci la population palestinienne –, qui est l’un des principaux facteurs de la détermination du génocide, a été clairement formulée dans les propos révoltants tenus par plusieurs représentants du gouvernement israélien, par des journalistes israéliens et par le biais des médias sociaux. Raz Segal insiste d’ailleurs sur le fait que ceux qui brandissent la menace détiennent le « pouvoir de commandement » de mettre ces menaces à exécution, ce qu’Israël a fait.

Le Centre for Constitutional Rights (CCR), une organisation juridique étatsunienne fondée en 1966, a publié un rapport documentant les moyens par lesquels Israël « cherche à commettre, voire, commet activement, le crime de génocide ». Le rapport précise que ça n’est pas l’ampleur de la tuerie qui définit un génocide. Ses auteurs citent à ce propos une déclaration de Raphael Lemkin, le juriste juif polonais à qui l’on attribue la paternité du terme génocide, où celui-ci affirme que le génocide consiste en « un plan coordonné visant la destruction des fondements essentiels de la vie de groupes nationaux de sorte que ces groupes dépérissent et meurent comme des plantes ayant subi un fléau (…) Un tel plan peut être réalisé par la suppression de la sécurité, de la liberté, de la santé et de la dignité des personnes. »

Le CCR cite également William Schabas, un universitaire canadien spécialiste du droit pénal international et des droits de la personne ayant aussi servi comme président de l’International Association of Genocide Scholars, qui affirme qu’en vertu du droit international, « aucun état et aucun individu ne peuvent être autorisés à justifier le génocide au nom de la légitime défense. » Ce principe est également inclus dans le Statut de Rome, le traité adopté par la Cour pénale internationale, qui stipule que la participation à « une opération défensive menée par des forces armées ne constitue pas en soi un motif d’exonération de la responsabilité pénale ».

Dans la première condamnation pour crime de génocide par une cour internationale, le Tribunal pénal international pour le Rwanda a statué que « la soumission d’un groupe de personnes à un régime alimentaire de subsistance, l’expulsion systématique des logements [et] la réduction des services médicaux nécessaires en deçà du minimum » sont également constitutives du crime de génocide.

La Commission internationale des juristes (CIJ) a quant à elle publié une note juridique portant sur le rôle de la communauté internationale et sur les responsabilités qui incombent aux États autres qu’Israël. La CIJ affirme qu’en vertu de la Convention de l’ONU sur le génocide, les États membres ont l’obligation juridique de prendre des mesures raisonnables pour contribuer à la prévention du génocide, que ces mesures suffisent ou non à le prévenir effectivement.

La note juridique du CIJ cite notamment des précédents jurisprudentiels selon lesquels le devoir d’agir des États est engagé du moment qu’un risque sérieux de commission d’un génocide est observé. Le CIJ estime qu’il y a maintenant suffisamment de renseignements connus pour que les États soient tenus responsables de prendre des mesures afin de prévenir le génocide à Gaza.

Le Canada est signataire des quatre conventions de Genève et les a enchâssées dans le droit canadien en 1957 en adoptant la Loi sur les conventions de Genève. Celle-ci a force de loi au Canada en tant que texte législatif. Il est donc légitime et primordial que la population canadienne demande à ses responsables politiques de prendre clairement position contre les intentions génocidaires affichées par des représentants du gouvernement israélien.

L’urgence de la situation ne doit pas être sous-estimée. Rabea Eghbariah, un avocat palestinien spécialisé dans les droits de la personne qui termine un doctorat à la Harvard Law School, a récemment fait la remarque suivante : « Il est beaucoup plus facile de décortiquer la jurisprudence que de confronter la réalité de la mort. Il est beaucoup plus facile de parler du génocide au passé que d’y faire face au présent. » 

Nous devons apprendre du passé et continuer à exiger qu’Israël mette fin à ses atrocités à Gaza et en Cisjordanie. Il n’y aura pas de résolution militaire de cette situation. La seule façon d’avancer consiste à instaurer un cessez-le-feu immédiat, à lever le siège de Gaza et à éliminer l’oppression systémique qui est à la source de la violence.

Nous devons à nos ancêtres de tirer des leçons de leurs expériences. Nous devons nous rappeler la déception et le chagrin que nos communautés ont ressentis lorsque le monde est resté silencieux devant leur anéantissement. Nous avons promis de faire mieux. Les preuves des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par Israël sont bien documentées. En tant que personnes juives, nous devons dénoncer catégoriquement Israël pour ses agissements. Et en tant que citoyen·nes du Canada, nous devons exiger mieux des responsables politiques qui sont censés nous représenter et défendre la primauté du droit.