La répression accrue n’améliorera pas la sécurité des étudiants juifs

Nous sommes des étudiants juifs du Canada qui soutiennent l’appel à un cessez-le-feu permanent, à
la fin du génocide à Gaza et au respect des droits de la personne pour tous les Palestiniens. Notre
préoccupation immédiate concerne les centaines de milliers de Palestiniens actuellement confrontés à
une invasion militaire à grande échelle à Rafah, et tous les Palestiniens confrontés à l’escalade de la
violence et au génocide aux mains de l’armée israélienne.

Il est compliqué, face à ce danger imminent et au génocide en cours, d’écrire une lettre sur
l’antisémitisme. Mais nous nous sentons obligés de parler directement de l’antisémitisme à la lumière
des audiences que le Comité permanent de la justice et des droits de la personne du gouvernement
fédéral organise actuellement sur le sujet de l’antisémitisme.


Nous remarquons que, parmi tous les candidats présentés, les témoins autorisés à témoigner, en
particulier dans cette première série représentant des étudiants juifs, expriment massivement le point
de vue selon lequel les étudiants juifs sont menacés sur les campus universitaires canadiens et ont
besoin d’une protection supplémentaire. Voici ce que nous dirions si nous étions là, à partir des
expériences de nos sections étudiantes au Canada.


Nous aussi, nous sommes des étudiants juifs.


Nous sommes des étudiants juifs qui supplient nos gouvernements de ne pas soutenir un génocide
en notre nom.


Nous sommes des étudiants juifs qui supplient nos universités de ne pas investir dans les entreprises
qui fabriquent des armes, que ces armes soient utilisées par l’armée israélienne ou ailleurs.
Nous sommes des étudiants juifs qui supplient nos représentants élus de ne pas mettre en œuvre des
politiques répressives qui criminalisent et réduisent au silence la dissidence en notre nom.
Nous vous demandons de comprendre que le peuple juif n’est pas un monolithe. Nous avons un large
éventail d’opinions et de points de vue politiques.
Nous vous demandons de comprendre que l’antisionisme et la critique de l’État d’Israël ne sont pas,
en soi, antisémites.
Le soutien à Israël, ou la critique à son égard, n’est pas une question d’identité juive, mais d’opinion
politique, les étudiants juifs se situant dans les deux camps.
Les Juifs ont une grande diversité de points de vue et d’opinions politiques. Supposer que nous avons
tous le même point de vue, et que si vous avez entendu une personne juive, vous avez entendu toutes
les personnes juives, est une forme d’antisémitisme. Les opinions juives sur les actes d’Israël sont
partagées, et le soutien aux actes du gouvernement israélien diminue de façon spectaculaire dans la
jeune génération, un groupe d’âge majoritaire chez les étudiants universitaires. Pour cette raison, et
en raison de la division des opinions sur ce sujet, il n’existe pas d’organisation juive unique ou de
groupe d’étudiants qui représente l’ensemble de l’opinion juive, pas même les groupes qui se qualifient
d’organisations de services d’encadrement ou d’unions multiconfessionnelles ou étudiantes.
Si vous n’avez pas l’habitude d’entendre un grand nombre d’étudiants juifs critiquer Israël, c’est en
partie parce que cela comporte des risques importants pour beaucoup d’entre eux. Ces étudiants
s’inquiètent de leur futur emploi, du harcèlement en ligne, de la divulgation de données personnelles,
des représailles et des relations avec leur communauté.
Nous constatons une tendance inquiétante aux États-Unis et au Canada où les allégations
d’antisémitisme et les politiques adoptées au nom de la prévention de l’antisémitisme servent d’excuse
pour réprimer ou criminaliser les manifestations d’étudiants, les mouvements de solidarité avec la
Palestine et même le droit d’exprimer certaines opinions politiques en public. Elles ont été utilisées
pour justifier le recours à une violence policière extrême afin de disperser des campements de
solidarité, par ailleurs pacifiques.
Si nous craignons pour la sécurité des étudiants juifs sur les campus où se trouvent des campements
de solidarité avec les Palestiniens, c’est parce que nous avons vu la violence policière à laquelle les
étudiants, y compris les étudiants juifs, sont confrontés lorsque les administrateurs font appel à des
forces de police militarisées. C’est parce que nous avons vu comment certaines factions de contremanifestants pro-Israël ont violemment attaqué de nombreux campements pacifiques.
Nous craignons que cette tendance n’atteigne les niveaux de répression de l’ère McCarthy aux ÉtatsUnis, touchant la société bien au-delà des campus universitaires, et avec ces audiences sur
l’antisémitisme, nous craignons que le Canada n’envisage de s’engager dans une voie tout aussi
désastreuse.
Beaucoup d’entre nous ont été les témoins directs des divergences entre les actes de contremanifestants pro-Israël agressifs sur nos campus et la façon dont ces expériences sont ensuite décrites
en ligne comme des expériences d’antisémitisme.
Il est également effrayant d’être confronté à ces types d’agressions et d’intimidations sur nos propres
campus. Nombre d’entre nous ont été la cible de cris, d’intimidations physiques, de bousculades, de
menaces de divulgation de données personnelles, et bien d’autres choses, simplement parce que
nous portions des pancartes ou exprimions notre point de vue. Nombre d’entre nous ont été pris pour
cible par d’autres Juifs précisément parce que nous sommes juifs et que nous appuyons la solidarité
avec les Palestiniens.
Continuer à défendre la liberté d’expression et la liberté universitaire contribuera à nous soutenir et à
nous protéger plus que n’importe quelle loi qui prétendrait prévenir l’antisémitisme en l’isolant du
racisme et d’autres formes d’oppression. Des outils comme la définition de l’antisémitisme de l’Alliance
internationale pour la mémoire de l’Holocauste (AIMH), qui associe la critique d’Israël à l’antisémitisme,
sont dangereux et trompeurs et ne devraient pas faire partie de la politique des universités. Nous
espérons plutôt que les gouvernements et les universités donneront la priorité au travail de prévention
de l’antisémitisme qui aborde ces formes d’oppression comme étant interconnectées, et qu’ils
financeront ce travail, dans le cadre d’un effort combiné pour s’opposer au racisme, à l’antisémitisme
et à toutes les formes d’oppression. De nombreux étudiants juifs appartiennent également à de
multiples groupes marginalisés, et seule une approche interconnectée peut soutenir l’ensemble de
leurs identités.
L’antisémitisme est réel et dangereux et nous le prenons au sérieux. Il y a eu des fusillades dans des
synagogues, des alertes à la bombe, des menaces de mort, des croix gammées défigurant des
espaces publics et des discours de haine visant les Juifs simplement parce qu’ils sont juifs. La plupart
d’entre nous vivent dans ce pays parce que nos parents ont fui les violences contre les Juifs lors des
pogroms ou de l’Holocauste. Nous savons à quel point ces dangers sont réels, mais nous ne voulons
pas qu’ils soient utilisés contre d’autres groupes ou qu’ils soient utilisés pour porter atteinte à la liberté
universitaire.
Si, dans leur effort pour protéger un groupe d’étudiants en particulier, les universités ont recours à
des politiques et à une loi qui étouffent ou réduisent au silence la liberté d’expression, c’est l’ensemble
de la communauté universitaire qui risque d’en pâtir. Nous ne voulons pas de traitement spécial pour
les étudiants juifs, mais le respect et la sécurité pour tous les étudiants.
Nous demandons à notre gouvernement de reconnaître que le véritable danger de l’antisémitisme
provient essentiellement des nationalistes blancs, des néonazis et d’autres groupes d’extrême droite,
et non des mouvements de solidarité avec les Palestiniens, qui comptent de nombreux membres juifs.
Les politiques souvent proposées pour « protéger » les étudiants juifs finissent souvent par soutenir
les objectifs des groupes d’extrême droite qui veulent saper les institutions universitaires.
Si nous parvenons à distinguer les véritables menaces d’antisémitisme des cas où des Juifs éprouvent
de la peur ou de la détresse en raison d’une divergence d’opinions politiques, nous serons mieux
armés pour lutter contre les véritables menaces lorsqu’elles se présenteront.
Nous vous demandons de ne pas permettre que les dangers réels de l’antisémitisme servent
d’argument à la répression politique et universitaire.
Pas en nos noms,
Anna Swanson


Voix juives indépendantes de l’Université de Guelph
Appuyé par :
VJI de l’Université Carleton, VJI de l’Université Concordia, VJI de l’Université de Guelph, VJI de
London, VJI de l’Université McGill, VJI de l’Université McMaster, VJI de l’Universtié Simon Fraser, VJI
de l’Université de la Colombie-Britannique, VJI de la Municipalité régionale de Waterloo, VJI de
l’Université York