Voix Juives Indépendantes (VJI), United Jewish People’s Order (UJPO) et le comité directeur du Jewish Faculty Network (JFN) s’opposent à la publication aujourd’hui d’un manuel offrant des lignes directrices pour l’application de la très controversée définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Ce manuel a été demandé par le Premier ministre Justin Trudeau en 2021 et publié aujourd’hui par l’envoyée spéciale du Canada pour la préservation de la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme, Deborah Lyons.
Nous pensons que l’adoption de la définition de travail de l’IHRA est elle-même antisémite, car elle associe la critique d’Israël au racisme envers les Juif.ve.s dans leur ensemble, et promeut le racisme anti-palestinien. L’IHRA rend impossible la lutte contre l’antisémitisme réel tout en s’engageant dans un discours politique sincère sur les politiques d’Israël. Nous demandons au gouvernement de rétracter immédiatement le manuel et à tous les Canadien.ne.s de refuser sa mise en œuvre, car il n’est pas adapté à la lutte contre l’antisémitisme et présente des risques majeurs pour les défenseur.e.s des droits de la personne du peuple palestinien.
Rédigée à l’origine à des fins académiques, la définition de travail de l’IHRA définit l’antisémitisme comme « une certaine perception des Juifs, qui peut s’exprimer sous forme de haine à l’égard des Juifs », avec onze exemples en annexe, dont sept nommant Israël. Selon l’auteur principal de la définition, Kenneth Stern, ces exemples n’ont pas été conçus comme des illustrations incontestables de l’antisémitisme en soi, mais c’est ainsi qu’ils ont été utilisés dans la pratique. Par exemple, le nouveau manuel fournit le message suivant sur les médias sociaux comme preuve d’antisémitisme selon l’un des exemples illustratifs de l’IHRA : « Vous ne pouvez pas être antiraciste et sioniste. Le sionisme est un projet raciste et colonial visant à nettoyer ethniquement la Palestine des Palestiniens, y compris par le génocide ». Le fait d’inclure cet exemple d’antisémitisme représente une menace dangereuse pour la liberté d’expression, car de nombreux experts internationaux ont décrit les politiques actuelles et historiques d’Israël en ces termes. De cette manière, le manuel promeut l’idée raciste anti-palestinienne selon laquelle pratiquement tous les Palestinien.ne.s et leurs partisan.e.s sont intrinsèquement antisémites pour avoir décrit avec précision les crimes continus d’Israël et s’être opposés à l’idéologie du sionisme.
De plus, en associant les Juif.ve.s canadien.ne.s aux efforts visant à protéger Israël – un État qui commet présentement un génocide à Gaza – contre toute critique légitime, le gouvernement alimente par inadvertance l’antisémitisme. Confondre l’identité juive avec les actions d’un État étranger ne fait qu’aggraver les stéréotypes dangereux et la désignation de boucs émissaires au sein des communautés juives, et efface les décennies de dissensions et de débats au sein des communautés juives concernant le sionisme et la relation des juifs diasporiques avec Israël. Il est à la fois nuisible et irresponsable de suggérer que s’élever contre les actions d’Israël équivaut à de l’antisémitisme, alors qu’en fait, cette association risque d’aliéner davantage les Juif.ve.s du Canada et de les mettre en danger. Dans le contexte actuel, la définition de l’IHRA sera utilisée pour étouffer un discours politique nécessaire et contribuer au racisme anti-palestinien qui permet à la communauté internationale de tolérer un génocide.
L’adoption de ce manuel présente de graves risques pour tous les Canadien.ne.s qui défendent les droits de la personne à l’échelle internationale. Dans son rapport d’octobre 2022 à l’Assemblée générale, le rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, E. Tendayi Achiume, a exhorté tous les États à « suspendre l’adoption et la promotion de la définition de travail et des exemples qui y sont liés », soulignant « le statut controversé, les effets de division et les impacts négatifs sur les droits de l’homme » de la définition de l’IHRA. Kenneth Stern a mis en garde contre sa mise en œuvre en tant que politique gouvernementale, déclarant qu’elle serait probablement utilisée pour supprimer le discours politique et la recherche universitaire, et qualifiant ses effets de « McCarthy-esques ».
Le manuel produit par l’envoyé spécial Lyons risque d’avoir ces effets négatifs sur les droits de la personne et menace de supprimer la liberté d’expression dans le discours académique, culturel et civil. Parfois, le manuel intervient même dans ce discours, en tentant de devancer les questions de savoir si l’État d’Israël est une « démocratie » et si les Juif.ve.s sont « indigènes » en Palestine – des questions de débat politique et académique légitime dont les paramètres ne doivent pas être déterminés par l’envoyée spéciale. Toute adoption de ce manuel risque d’alimenter le racisme anti-palestinien et l’antisémitisme, tout en créant les conditions d’une censure politique dans le discours public et dans le secteur des arts et de la culture, et pourrait être utilisée pour nuire à tout.e Canadien.ne qui s’exprime au nom des droits de la personne des Palestinien.ne.s.
VJI, UJPO et JFN restent engagés dans la lutte contre l’antisémitisme et le racisme anti-palestinien, aux côtés de toutes les communautés confrontées à l’oppression, tout en soutenant sans équivoque le droit de critiquer les politiques étatiques dans la poursuite de la justice et de l’égalité. S’approprier l’histoire de la douleur juive en redéfinissant l’antisémitisme pour faire taire les voix palestiniennes et les indignations publiques sur les crimes de guerre continus d’Israël est offensant pour nos communautés. Les efforts sincères de lutte contre l’antisémitisme ne doivent pas porter atteinte au droit de défendre la protection et la dignité de tous les peuples opprimés, y compris les Palestinien.ne.s. Le maintien de cet équilibre est essentiel pour un Canada qui se consacre aux droits de la personne et à la protection des voix marginalisées. Nous condamnons la publication de ce document préjudiciable et appelons tous les Canadien.ne.s à rejeter sa mise en œuvre.