Des groupes antiracistes s’inquiètent du projet de loi canadien sur les «contenus préjudiciables en ligne», qui pourrait faire plus de mal que de bien

Madame, Monsieur,

En tant qu’organisations et personnes ayant une expertise en matière d’anti-racisme, nous sommes extrêmement préoccupées par le projet de loi du gouvernement qui se veut une solution aux «contenus préjudiciables en ligne», soit les contenus «terroristes», ceux «incitant à la violence», ceux concernant le «partage non consensuel d’images intimes» et «l’exploitation sexuelle des enfants.» 

Bien que l’intention derrière le projet de loi est de protéger les groupes marginalisés contre la «haine, le harcèlement et la rhétorique violente en ligne», nous craignons que, telle que présentée, la législation proposée risque plutôt d’exacerber la tendance bien documentée de cibler et supprimer le contenu en ligne au sujet d’enjeux soulevés par les communautés autochtones, palestinien.nes, noires et autres communautés racisées et colonisées. 

D’un point de vue antiraciste, le cadre législatif proposé soulève les préoccupations suivantes:

1) L’incitation à la suppression excessive de contenu, en raison : du délai très court (24 heures) pour éliminer un contenu suspect; de l’obligation pour les fournisseurs de services de communication en ligne d’être proactif dans le repérage de contenus préjudiciables, y compris à travers le recours à des systèmes automatisés (alors qu’il a été démontré qu’ils amplifient les préjugés existants); des définitions vagues qui pousseront les plateformes à cibler plus largement par «prudence»; et des pénalités financières importantes en cas de non conformité.

2) L’amalgame, sous un seul régime réglementaire, de contenus préjudiciables disparates – par exemple, le contenu «haineux» ou «terroriste» avec le «partage non consensuel d’images intimes» ou «l’exploitation sexuelle des enfants». Cela est particulièrement problématique compte tenu que les notions de «discours haineux» et «discours terroriste» sont déjà utilisées pour censurer le contenu en ligne lié à des enjeux soulevés par les communautés noire et palestinienne ; un problème exacerbé, dans le cas des Palestinien.nes, par les efforts d’institutionnaliser la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), largement critiquée pour son amalgame de la critique des politiques israéliennes avec l’antisémitisme.

3) Le partage accru d’information avec les agences de renseignement et les forces policières concernant des contenus potentiellement préjudiciables. Comme le souligne Michael Geist, spécialiste en droit et en technologie, ceci pourrait avoir comme conséquence que «[l’intelligence artificielle] identifie ce qu’elle croit être du contenu visé par la loi et envoie un rapport à la GRC» – augmentant encore plus la surveillance et le contrôle disproportionnés par la police des communautés colonisées et racisées. 

4) Les pouvoirs de fouille très larges accordés à des «inspecteurs» chargés de vérifier la conformité avec la loi, les audiences secrètes, les nouveaux pouvoirs de collecte d’information accordés au SCRS – lui octroyant davantage de pouvoirs similaires à ceux de la police.

5) Le manque de transparence, de reddition de compte, de recours et de mécanisme public pour évaluer si les compagnies Internet respectent leur obligation de traitement non-discriminatoire lorsqu’elles retirent du contenu et font rapport aux forces policières et au SCRS; la protection accordée à ces compagnies qui sont à l’abri de poursuites civiles et criminelles lorsqu’elles rapportent «de bonne foi» à la police ou au SCRS; le manque d’obligation qu’ont les compagnies de restaurer le contenu supprimé à tort et qui sont libres d’appliquer leurs propres standards de communauté. Comme l’ont souligné récemment trois rapporteur.es de l’ONU, «ces standards ne font pas référence aux droits humains et aux obligations qui en découlent, ce qui crée la possibilité d’échapper à la reddition de compte en matière de droits de la personne.» 

Selon Daphne Keller, directrice du Program on Platform Regulation au Stanford’s Cyber Policy Center, la proposition du Canada constitue une «liste des pires idées qui ont cours dans le monde – celles que les organisations de défense des droits humains ont combattu à l’Union européenne, en Inde, en Australie, à Singapour, en Indonésie et ailleurs.» 

Les lacunes troublantes dans le processus de consultation visant à valider ce projet de loi ne font qu’augmenter nos préoccupations. Les points de vue d’expert.es sur comment s’attaquer aux contenus préjudiciables tout en respectant les libertés civiles ont été ignorés. En raison des élections, les rencontres de consultation avec des représentant.es des communautés ont été annulées sans que la date de la fin des consultations, le 25 septembre – 5 jours après les élections – ait été repoussée.

Étant donné les risques sérieux que pose cette législation – y compris pour les communautés qu’elle est supposée protéger – nous demandons au gouvernement d’en suspendre la mise en œuvre tant qu’une consultation ouverte, complète et juste avec des expert.es en matière d’anti-racisme, de droits humains et de libertés civiles n’aura pas eu lieu, et que les problèmes et écueils identifiés ci-haut n’auront pas été corrigés.

Cliquez ici pour signer en tant qu’individu ou organisation. La liste des signataires sera périodiquement mise à jour.

Organismes signataires

Arab Canadian Lawyers Association
British Columbia Civil Liberties Association
Canada Palestine Association
Canada Palestine Support Network – CanPalNet
Canadian BDS Coalition
Canadian Arab Federation
Canadian Council of Muslim Women (CCMW)
Canadian Foreign Policy Institute
Canadians for Justice and Peace in the Middle East (CJPME)
Canadians for Peace and Justice in Kashmir (CPJK)
Canadians United Against Hate
Catholics for Justice and Peace in the Holy Land
Community Coalition Against Racism (Hamilton)
Independent Jewish Voices Canada / Voix juives indépendantes
International Civil Liberties Monitoring Group (ICLMG)
Islamic Social Services Association
Jewish Liberation Theology Institute
Just Peace Advocates/Mouvement Pour Une Paix Juste
Ligue des droits et libertés
Mathabah Institute
Niagara Movement for Justice in Palestine-Israel (NMJPI), ON Canada
PAJU (Palestinian and Jewish Unity)
Palestinian Canadian Congress
Samidoun Palestinian Prisoner Solidarity Network
Sisters Dialogue
Socialist Action / Ligue pour l’Action socialiste
South Asian Legal Clinic of Ontario
Uyghur Rights Advocacy Project

Individus

Aman Sium, Eritreans for Peace and Justice
Anna Lippman, PhD candidate
Anne Dagenais, activist
Annette Lengyel, Human Rights for Palestinians Activist
Aron Rosenberg, PhD Candidate, McGill University
Dr Arun Kundnani, writer
Azeezah Kanji, journalist and legal academic
Bill Skidmore, Human Rights professor, Carleton University (retired)
Dr Chandni Desai, Assistant Professor, Critical Studies of Equity and Solidarity, University of Toronto
Cheryl Gaster, Human Rights Lawyer (Retired)
Claudia K. Keller, Clergy
Corey Balsam, National Coordinator, Independent Jewish Voices
Dania Majid, Arab Canadian Lawyers Association
Dr David Palumbo-Liu, Louise Hewlett Nixon Professor, Stanford University., US
D Nashi, Barrister and Solicitor
Doug Hewitt-White, Conscience Canada
Dr. Adnan A. Husain (Department of History and Director, Muslim Societies-Global Perspectives Project, Queen’s University)
Dr. James Deutsch, Div. of Child and Adolescent Psychiatry, Univ. of Toronto
Dr. Sujith Xavier, Associate Professor, Faculty of Law University of Windsor
Ed Corrigan, lawyer
Elizabeth Block, member of Independent Jewish Voices and CFSC
Elizabeth-Anne Malischewski, Independent Jewish Voices
Emo Yango, The United Church of Canada
Ernest Dalymple-Alford, retired university professor
Faisal Bhabha, Associate Professor, Osgoode Hall Law School, York University
Gail Nestel, Educator
Gordon Doctorow, Ed.D.
Greg Starr, College Instructor
Helga Mankovitz, member, Independent Jewish Voices
Jeannette Schieck, BA MSc retired OCT
Dr Jeffrey Monaghan, Associate Professor, Carleton University
Jenny Stimac, Independent Jewish Voices
Jeremy Wildeman, PhD
Jillian Rogin, Assistant Professor, University of Windsor, Faculty of Law
Karen Rodman (Rev), ordained minister and human rights advocate
Karin Brothers, writer and activist
Khaled Loutfi Mouammar, Former Member of the Immigration and Refugee Board of Canada
Kikélola Roach, Unifor National Chair in Social Justice and Democracy at X University (formerly Ryerson)
Lev Jaeger, United Jewish People’s Order member, Independent Jewish Voices member
Dr Mark Ayyash, Associate Professor of Sociology, Mount Royal University
Mark Robert Brill, member, Independent Jewish Voices, Ontario Coalition Against Poverty, long time activist
Mary Girard, human rights and justice activist
Michael Keefer, Professor Emeritus, University of Guelph
Dr Nahla Abdo, Professor, Carleton University
Nicholas Sammond, Director, Centre for the Study of the United States, University of Toronto
Omar Burgan, Labour researcher
Dr Paola Bacchetta, Professor, University of California, Berkeley
Parker Mah, artist/producer and community activist
Rabbi David Mivasair, emeritus, Ahavat Olam Synagogue
Rachel Small, World BEYOND War
Dr Randa Farah, Associate Professor, WesternU
Rashmi Luther, Lecturer (retired), School of Social Work, Carleton University
Ria Heynen, activist
Richard Marcuse, Arts Consultant
Dr Rinaldo Walcott, Associate Professor, University of Toronto
Sam Arnold, Independent Jewish Voices
Shawn Nock, human rights activist
Sid Shniad, solidarity activist, member Independent Jewish Voices Canada
Suzanne Weiss, author and activist
Sydney Nestel, IT consultant, retired
Tim McSorley, National Coordinator, International Civil Liberties Monitoring Group
Vicki Obedkoff, United Church of Canada minister
Wolfe Erlichman, Independent Jewish Voices
Yom Shamash, Independent Jewish Voices
Zainab Amadahy, author and community activist