Dans les quelques prochains jours, Voix juives indépendantes (VJI) enverra une série de témoignages de la part de Palestiniens et de militants de la solidarité avec la Palestine qui évoquent la vie sous la pandémie du COVID-19. Alors que le monde est aux prises avec cette éruption, et alors que nous organisons l’entraide et la solidarité dans de nombreuses villes, nous devons garder la Palestine à l’esprit et dans nos coeurs.
Nous pouvons nous inspirer et tirer des leçons importantes d’expériences tirées de la vie des Palestiniens sous couvre-feu militaire, siège et restrictions de déplacement. Loin de tracer une équation entre confinement et occupation, nous espérons apprendre des stratégies utilisées depuis des décennies par les Palestiniens et entendre leur conseil au monde en ces temps difficiles.
Maintenant plus que jamais, la Palestine doit être libre. Le siège brutal de Gaza et l’occupation incessante de la Cisjordanie sont des poudrières pour le Coronavirus. Jusqu’à date, la bande de Gaza a confirmé neuf cas du virus. L’aide médicale doit arriver, les gens doivent avoir accès au dépistage et Israël doit mettre fin à ses restrictions quotidiennes sur la vie des Palestiniens.
Si vous appréciez ces dépêches, et souhaitez voir davantage de réalisations de ce type, nous vous invitons à faire un don à Voix juives indépendantes dès aujourd’hui.
Le témoignage d’aujourd’hui est celui de Khalil Abou Yahia, un professeur d’anglais de 24 ans de la ville de Gaza.
Khalil a une voix douce et réfléchie, parlant de chez lui dans l’échange que nous avons par skype. Son visage ne se départit pas d’un large sourire au cours de l’interview, alors même qu’il touche des points sombres par moments. Il commence par livrer ses réflexions sur l’arrivée du coronavirus mortel dans la bande de Gaza.
« Pour moi, c’est comme du déjà-vu. Nous avons souvent traversé de pareilles épreuves. Certaines personnes disent : « Nous avons été confrontés à la quatrième armée la plus puissante du monde, aussi ne sommes nous pas effrayés d’être empêchés de sortir dans la rue.
Israël et son armée sont responsables de la situation. Gaza est toujours sous occupation, donc, en droit international, Israël devrait être tenu responsable. Israël est responsable de notre santé – il faut qu’ils nous fassent parvenir nos médicaments et nos traitements, mais ils ne le font pas ».
La peur grandit qu’un déferlement du COVID-19, combiné au siège israélien, puisse être la recette d’un génocide à Gaza. À cette date, Israël n’a autorisé que quelques centaines de kits de dépistage du coronavirus dans le territoire assiégé pour une population de près de deux millions.
Racisme biologique
« Ce à quoi nous pensons avec tristesse ici à Gaza est qu’Israël va s’en tirer : ils ne seront pas tenus pour responsables de notre santé. Parce que si vous vous demandez pourquoi nous souffrons, et pourquoi nous n’obtenons pas de traitement approprié contre le virus, c’est parce que nous ne sommes pas nés de mères juives. Réfléchissez y. Si moi, Khalil, j’étais né d’une mère juive, je pourrais être en meilleure santé et j’aurais accès à des traitements. Et ce racisme biologique sur lequel Israël fonde sa politique est ce qui nous tue.
Si vous ne mettez pas le maximum de pression sur Israël pour une levée immédiate du siège, Gaza sera un cimetière.
Khalil Abu Yahia
De plus, il y a une conspiration du silence qui nous tue. La communauté internationale observe ce qu’il se passe à Gaza et ne fait jamais rien de concret pour l’arrêter.
Les gens ont comparé Gaza à un zoo. Des rapports ont été produits qui ont dit que Gaza serait invivable en 2020 et c’était sans le coronavirus. Bon, maintenant nous sommes en 2020 et nous venons de découvrir les neuf premiers cas du virus à Gaza. Dieu sait combien d’autres cas existent. La situation empire à Gaza. Ce que nous voulons dire au monde c’est : « trop c’est trop ». Si vous ne mettez pas le maximum de pression sur Israël pour une levée immédiate du siège, Gaza sera un cimetière ».
J’a demandé à Khalil de décrire l’ambiance dans les rues de la ville de Gaza aujourd’hui.
« La plupart des gens disent : est-ce que ça ne suffit pas que nous soyons sous occupation et que nous ayons été sous le siège depuis 14 ans ? Est-ce que ce n’est pas assez sans le coronavirus ? Maintenant nous attendons que le monde dise quelque chose.
En état d’urgence depuis 1948
« Vous savez, dans des pays comme la Grande Bretagne et l’Amérique, l’état d’urgence a été déclaré. Nous, ici à Gaza, on est en état d’urgence depuis 1948. Mais personne ne nous a écoutés. Alors nous demandons : ne sommes nous pas des êtres humains comme vous ? N’avons nous pas de sentiments comme vous et des problèmes à résoudre ? Pourquoi tant de racisme à notre égard ? Voilà ce que disent les gens à Gaza.
Les seules personnes qui vont aider les Palestinien sont les Palestiniens eux-mêmes. Personne ne nous a entendus en 2008, personne ne nous a entendus en 2012 et personne ne nous a entendus en 2014. Nous sommes la seule solution. »
J’ai posé à Khalil la question de la quarantaine et d’autres mesures de protection mises en place actuellement à Gaza.
« La police dit qu’on ne peut pas être plus de cinq ensemble en même temps ni faire de fêtes. On ne peut rien faire qui rassemble des gens. Les marchés publics ont été fermés aussi. Et bien sûr personne ne peut se déplacer vers ni hors de Gaza, mais cela n’a pas beaucoup changé depuis le début du coronavirus ».
“Toutes les guerres sont gravées dans nos mémoires”
Dans le monde entier les gens sont confrontés à toutes sortes de restrictions de déplacements et je lui dis que les gens essaient d’apprendre de l’expérience qu’ont les Palestiniens de la vie en état de siège. Je lui demande alors comment les gens à Gaza on réussi à survivre et à s’en sortir.
« Les gens ici, comme tout le monde, ont des sentiments. Je pense que 100% de la population de Gaza sont traumatisés. Les gens veulent montrer qu’ils font face aux difficultés de la vie, parce qu’ils savent que la vie doit continuer. Leur espoir est que la génération suivante soit capable d’instaurer un changement. Mais, honnêtement, vous nous avez demandé comment nous avons survécu, alors que nous n’avons pas survécu. Toutes les guerres sont gravées dans nos mémoires. C’est ce que nous voyons dans nos rêves.
Mais maintenant, ce que nous disons est que l’apartheid israélien doit cesser. Si Israël dit être un pays démocratique, très bien, montrez nous votre démocratie. Mais ce n’est une démocratie que pour les Juifs ».
Je suis d’accord avec Khalil que le monde n’a pas entendu la voix de Gaza, mais je lui demande, si le monde pouvait maintenant entendre sa voix, qu’est ce qu’il voudrait que les gens sachent alors qu’ils sont face à la pandémie de coronavirus.
« Ce que vous traversez actuellement, Gaza l’a expérimenté depuis des décennies. Ce que vous craignez n’est pas le pire pour nous. Vous, le monde, pouvez ne pas nous avoir entendus mais nous vous entendons et nous vous répondons.
Ce que nous voulons de la part du monde est de nous montrer de la solidarité. Et de nous montrer que vous vous souciez de nous, nous voulons une chose de votre part : nous voulons que vous boycottiez Israël. C’est la seule chose qui mettra Israël face à ses responsabilités pour ses crimes contre le droit international et qui nous apportera la justice – plus d’actions de BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions). C’est la seule façon d’agir sur l’apartheid. Cela a marché en Afrique du Sud et cela marchera pour Israël.
Notre vie, nous avons besoin de la vivre. Nous ne voulons pas mourir à cause du coronavirus. Nous sommes des humains comme vous et nous ne demandons rien d‘excessif. Nous vous demandons d’être humains, vous aussi.»
Par Aaron Lakoff, responsable de la communication et des media de Voix Juives Indépendantes.
Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine